Déli éthylique : quand la loi Évin s’invite à la table du Sommelier.
Jouons ensemble :
Quelles sont les différences entre ces deux affiches ?
La loi Évin porte sur son front un des mots qu’elle est censée combattre. Un comble, une cocasserie pour qui aime les calembours faciles. Et les cocasseries on aime cela au théâtre, sauf quand ladite loi vient enquiquiner les producteurs en brandissant la menace d’une interdiction d’afficher.
Réalisation : Thomas Braut
La version originale, diffusée pendant plus d’un an sur 90 dates en province sans soulever le moindre problème aux diffuseurs locaux.
Quand la loi Évin s’invite au restau, d’aucun dirait que ça plombe un peu l’ambiance… Quelle ne fut pas la surprise de l’équipe de production du Sommelier, fière et fébrile de fouler les planches du théâtre du Gymnase à partir du 28 mars prochain, d’être suspendue, à 15 jours de l’affichage, à une sentence des services juridiques de JC Decaux et Médiatransports. Pourtant, avec plus de 90 dates de tournée, l’affiche d’origine a été multi-diffusée sans modération. Est-ce à dire qu’on boit plus en Province qu’à Paris ? Foin d’idées reçues ! Vu le nombre de tables z’et bistrots que compte la capitale au kilomètre carré… Plus sérieusement, les affiches de théâtre ont tendance à passer entre les gouttes tant qu’elles ne passent pas par des régies censées respecter une loi qu’elles n’ignorent pas.
En tant qu’agence, nous avons le devoir d’informer les productions si leur affiche risque d’être refoulée par l’afficheur à qui nous devons soumettre les visuels. C’est contraignant, pas marrant et souvent absurde. On râle, on tempête, on se bat, on essaie de ruser, mais mieux vaut prévoir le plan B si le sujet est sensible : alcool, tabac, signes religieux, armes et politique.
Il faut alors récupérer les éléments séparés ou demander au graphiste de retoucher son visuel en un temps record. Un aller-retour demande a minima trois jours auprès de Médiatransports et une semaine auprès de l’ARPP. Vous voilà désormais tous prévenus !
Extrait de l’avis de l’ARPP, avec en prime ce petit mot doux à la fin :
« Nous vous remercions de votre démarche qui traduit votre intérêt pour l’autodiscipline publicitaire.
En restant à votre disposition pour examiner, avec vous, toutes propositions de modifications, nous
vous prions d’agréer l’expression de nos salutations distinguées. »
Le cas n’est pas nouveau dans le théâtre. Mais jamais une pièce n’avait cumulé autant d’éléments « subversifs » : dans le titre, sur la table, dans les mains de Philippe Chevallier. Nous vous laissons imaginer les sueurs froides et le nombre de coups de téléphone dans cette relation triangulaire Production, agence, support, cumulées à l’inquiétude de ne pouvoir récupérer les bases graphiques d’origine…
La loi Évin existe depuis 1991. Elle « ne prohibe pas la publicité des boissons alcooliques mais l’encadre strictement quant à son contenu et à son support. Ainsi, la propagande ou la publicité en faveur des boissons alcoolisées sont interdites sur les supports qui s’imposent à tous, notamment aux mineurs, tels que la télévision et le cinéma. » Ce rappel est par ailleurs inscrit sur les fiches techniques des supports. Encore heureux qu’une telle loi ne s’applique pas sur scène !
Notre partenaire, la société Médiatransports est particulièrement vigilante. En 2012, l’affiche de Stéphane Guillon provoqua des remous au sein de la régie publicitaire et par ricochet, un buzz aussi involontaire qu’inattendu au profit de l’artiste, concepteur de son visuel, qui enchaîna interviews, plateaux télé, presse…). Nous ne pouvions rêver mieux ! Depuis, plus rien ne passe sans validation écrite antérieure à la livraison des affiches.
Exemples de visuels « sensibles »
Dans 98% des campagnes, les visuels sont validés immédiatement et ne posent pas de problème particulier.
Attention aux quatuor : alcool, cigarette, religion, politique.
« Pour le Meilleur et Pour le dire » actuellement au Théâtre de la Scène Parisienne après la Manufacture des Abbesses et Avignon. Le graphiste a dû lui aussi vider verres et carafe.
Il est toujours délicat pour nous de demander à un graphiste de retoucher sa création. Fort heureusement, cela se passe toujours très bien.
Pour « La Dégustation », nous avions contourné le problème dès la conception. Nous avons flouté l’arrière plan jusqu’à le rendre méconnaissable et la suggestion passe par la tenue de Bernard Campan, un véritable tablier de caviste et le code couleurs.
Le visuel a été envoyé à la validation avant la séance photo.
Pour « Compartiment fumeuses », la fumée est la seule trace évocatrice de la cigarette.
Rappelez-vous l’affiche du film « Gainsbourg » ou la pipe supprimée sur celle d’une exposition Jacques Tati il y a quelques années.
Affiche d’Eric Antoine, produit par Thierry Suc.
Avant de valider cette affiche, la régie s’est assurée que la présence de signes religieux ne pouvaient causer de polémique en étant tous représentés et de façon discrète.
En effet, il faut bien zoomer pour les voir. Tant pis, 3 jours d’attente.
Et pourtant, ce ne sont « que » des affiches de théâtre.
Les histoires d’affiches censurées par le métro sont peu nombreuses mais récurrentes : Loi, règles, déontologie, neutralité, autocensure… Récemment, la régie a interdit l’affichage de la dernière campagne Greenpeace dans le métro de la capitale, accusée de mettre trop le doigt sur la difficulté des politiques à se mettre en action.
Que tout cela est bien compliqué…